Cosmogonie moderne

Qu’est-ce qu’une cosmogonie ? C’est le récit de la naissance du monde. Le plus souvent, ce récit a la forme d’un mythe servant de socle au développement d’une religion ou à la constitution d’une société.

Vous connaissez la Genèse : 6 jours de création et 1 jour de repos ; c’est un exemple de cosmogonie, qui n’explique d’ailleurs pas ce qu’il y avait avant le commencement.

« Au commencement Dieu créa le ciel et la terre.

La terre était informe et vide; les ténèbres couvraient l’abîme, et l’Esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux.

Dieu dit:  » Que la lumière soit!  » et la lumière fut. »

blake

(William Blake. The Ancient of Days, 1794)

Un autre exemple et pas des moins scabreux : la mythologie grecque. Au commencement il y a le Chaos, dont émergent Gaia, la Terre, Eros, l’amour, Nyx, la nuit d’en haut et Erèbe, l’obscurité des enfers. Nyx et Erèbe s’unissent pour engendrer Hémera, le Jour et Ether, la lumière.

Gaia, elle, enfante Ouranos, le ciel étoilé, Pontos, le flot marin, ainsi que les montagnes. Gaia s’unit ensuite dans une relation incestueuse à Ouranos pour donner naissance aux douze Titans, dont Cronos et Rhéa, tous deux parents des futurs dieux de l’Olympe. (ça va ? vous suivez ?).

Ouranos, craignant que l’un d’eux ne veuille le supplanter, contraint ses fils à demeurer à l’intérieur de la terre. Excédée, Gaia leur demande alors de punir leur père ; elle crée une faucille que Cronos accepte de prendre. Lors des ébats suivants entre Gaia et Ouranos, Cronos tranche d’un coup net les testicules de son père, qui vont tomber sur terre et engendrer de nouvelles divinités. Et ainsi de suite, dans la même veine.

Si je vous parle de cosmogonie, c’est parce que les astrophysiciens sont aujourd’hui les nouveaux conteurs de la naissance de l’univers, à cette différence qu’ils ont bâti leur récit sur un ensemble d’observations et d’hypothèses scientifiques solides. Ils rassemblent patiemment les pièces du puzzle depuis un peu moins d’un siècle, depuis que le Belge Georges Lemaître, qui était à la fois prêtre et physicien, a affirmé le premier dans les années 1930 que l’univers est en expansion et proposé la théorie de l’atome primitif comme origine de l’univers, théorie qui sera plus tard reprise et développée sous le nom de Big Bang.

Je vous présente aujourd’hui les différentes étapes de la naissance de l’univers il y a 13,8 milliards d’années et de son évolution, sous la forme d’un synopsis chronologique, auquel j’ai ajouté les données de température, exprimée en degrés Kelvin (c’est à dire des degrés Celsius plus 273). En effet, il semblerait que temps (celui qui passe) et température soient intimement liés ; j’en parlerai dans un prochain article sur la flèche du temps.

Pour commencer, reconnaissons que cette histoire n’est pas complète. En effet, entre le temps 0 et 10-43 secondes plus tard, soit moins d’un milliardième de milliardième de milliardième de milliardième de seconde, nous sommes dans l’impossibilité d’expliquer ce qui s’est passé. Cette période s’appelle l’ère de Planck et vous pouvez encore imaginer tout ce que vous voulez quant aux forces qui se sont mises en oeuvre à ce moment.

A 10-43 secondes, l’univers a une taille infiniment petite et la température qui y règne est extrêmement chaude : 1032 degrés Kelvin (1 suivi de 32 zéros).

Et ensuite,que se passe-t-il ?

La première seconde est très riche en événements : l’univers accroît sa taille de façon démesurée, sa température tombe à 10 milliards de degrés Kelvin, les quatre forces qui régissent notre monde physique : gravitation, force nucléaire forte, force nucléaire faible et force électromagnétique, qui étaient à l’origine confondues, se séparent progressivement les unes des autres et toutes les particules élémentaires qui composent la matière sont créées. De plus, des batailles homériques ont déjà eu lieu :

  1. Les premières particules, les quarks, sont nées en même temps que leurs équivalents faits d’anti-matière, les anti-quarks. Les uns et les autres vont s’annihiler totalement et chaque annihilation donnera naissance à une particule de lumière, le photon. Néanmoins, il existe une légère dissymétrie dans les forces en présence : pour chaque milliard d’anti-quarks, on trouve un milliard et un quarks. C’est ce survivant sur un milliard qui fera que l’univers est composé de matière et non d’anti-matière ou juste de lumière ;
  2. Deuxième et définitive défaite de l’anti-matière : cette fois-ci, ce sont les électrons qui entrent dans la danse, en compagnie de leurs partenaires, les positons. Le même scénario qu’avec les quarks se répète : les paires électron-positon s’annihilent pour former des photons et, nouvelle dissymétrie, il reste un électron survivant pour chaque milliard de paires annihilées ;
  3. Les quarks s’agrègent en protons et en neutrons ; le nombre de chacun d’entre eux est sensiblement équivalent, quand soudain la population des seconds chute : il ne reste plus dans l’univers qu’un neutron pour cinq protons.

A la suite de cette folle seconde, il ne se passe pas grand chose de notable avant 380’000 ans. La température continue de décliner jusqu’à 3’000 degrés Kelvin et l’espace continue son expansion. L’univers n’est alors qu’une grande soupe faite de noyaux d’hydrogène et d’helium, ainsi que d’électrons en liberté perturbant la trajectoire des photons.

L’univers est alors opaque et pourrait se comparer au grand chaos primordial du mythe grec ou à l’océan de lait de la Mahabharata, celui qu’une alliance de demi-dieux et de démons supervisée par Vishnou baratte pour en tirer le nectar d’immortalité, l’Amrita.

milk ocean churn(Barattage de l’océan de lait. Aéroport de Bangkok)

Le nectar d’immortalité, que serait-ce d’autre sinon la lumière, libérée soudain par le fait que les électrons s’attachent aux noyaux d’hydrogène et d’helium pour former des atomes et laissent les photons poursuivre leur course à travers l’immensité de l’univers ?

Les premières étoiles naissent quelque cent millions d’années après le Big Bang et proviennent de zones où les nuages d’hydrogène sont plus denses qu’ailleurs. Elles se regroupent en amas qui forment alors des galaxies.

Quelques milliards d’années plus tard, c’est notre système solaire qui apparaît. Il faudra quelques centaines de millions d’années de plus pour que les conditions favorables à l’apparition de la vie soient réunies, d’abord de l’eau, peut-être apportée par des météorites, puis de l’oxygène et une température clémente. C’est alors que la chimie organique entre en action : les premières molécules, puis des acides aminés, puis des protéines. Il ne reste qu’à l’évolution des espèces à faire son travail.