Les trois princes de Serendip

Je ne pouvais pas démarrer ce blog sans parler de sérendipité.

Mais qu’est-ce que c’est que ce mot bizarre qui a fait récemment irruption dans nos dictionnaires ?

A la racine, le nom Serendip. Nous voila bien avancés. Si j’ajoute que Serendip est un ancien nom persan qui désignait le Sri Lanka actuel, ça ne nous rapproche pas davantage du sens du mot.

En fait, il nous faut faire un voyage dans le temps davantage que dans l’espace et remonter jusqu’au XVIIIème siècle. A l’époque, on commençait à s’intéresser en Europe aux cultures orientales, Galland publiait la première version des Mille et Une Nuits en français dès 1704. Montesquieu les Lettres Persanes en 1721 et Voltaire Zadig ou La Destinée en 1747.

Or Zadig est inspiré d’un conte persan : Voyages et Aventures des Trois Princes de Serendip, où les trois princes font des déductions extraordinaires fondées sur l’observation d’indices laissés sur le chemin, à propos de choses qu’ils n’ont jamais vues, par exemple le passage d’un chameau borgne et boiteux, avec une dent en moins, transportant une femme enceinte, du miel d’un côté et du beurre de l’autre. Alors qu’ils devaient être exécutés, les trois princes reçoivent des présents en récompense de leur sagacité, sans qu’ils aient recherché la moindre faveur.

Pour autant ce n’est pas Voltaire qui inventa en 1754 le concept de sérendipité, mais l’Anglais Horace Walpole (qui tenait d’ailleurs une correspondance avec Voltaire). Walpole s’inspira du conte persan (ce « silly fairy tale » où les princes «were always making discoveries, by accidents and sagacity, of things which they were not in quest of ») pour forger le terme « serendipity » et lui donner ce sens : la faculté de faire des découvertes heureuses et inattendues par accident.

Ou bien, si vous voulez et pour reprendre l’image de l’Américain Julius Comroe, la sérendipité c’est sauter dans une meule de foin à la recherche d’une aiguille pour en ressortir avec la fille du fermier (ou le fils si ça vous convient mieux).

Serendipity est un mot populaire en anglais, notamment chez les journalistes et les scientifiques. Sa prononciation est aussi plus facile qu’en français, par la grâce de l’accent tonique sur la première syllabe et l’absence de voyelle nasale. L’anglais a encore l’avantage de proposer l’adjectif « serendipitous » dont l’adaptation en français passe à mon avis assez mal : sérendipiteux ne rend pas vraiment le côté heureux d’une découverte.

Pourquoi a t-il fallu attendre ces dernières années (mot de l’année 2009 pour le magazine Sciences Humaines, qui se plaint alors de ne pas le voir dans les dictionnaires usuels) pour que la sérendipité fasse officiellement son entrée dans la langue française ? Peut-être que notre esprit cartésien s’accommode mal de l’idée de faire des découvertes fortuites ; je pense donc je suis et je trouve ce que j’ai cherché. Même Pasteur, lorsqu’il dit : « Le hasard ne favorise que les esprits préparés » semble subordonner la chance au pouvoir de la pensée toute-puissante.

Pour autant, les exemples abondent de ces découvertes majeures faites avec la contribution du hasard. J’en citerai un, celui d’Alexander Fleming, qui fit preuve de sérendipité à deux reprises. La première fois, en 1921, Fleming, qui cultivait divers microbes dans des boîtes de Petri, ajouta à l’une d’elles ses propres sécrétions nasales (par curiosité ou par accident, les récits divergent à ce sujet). Le lendemain Fleming observa la formation d’une tache claire à l’endroit où le mucus s’était déposé. Il en déduisit qu’une substance présente dans le mucus tuait les bactéries contenues dans la boîte et l’appela lysozyme.

Sept ans plus tard, Fleming, qui n’avait pas la réputation d’être ordonné, partit en vacances un mois en laissant ses boîtes de Petri ouvertes à l’air libre sur la paillasse de son laboratoire. A son retour, de la moisissure avait contaminé les boîtes. Alors qu’il aurait dû les jeter, il se souvint de son expérience avec le lysozyme et remarqua que la moisissure détruisait les staphylocoques cultivés dans certaines d’entre elles. Il isola et identifia la moisissure. Il nomma l’antibiotique qu’il avait créé pénicilline.

Que les princes de Serendip vous accompagnent sur les sentiers de la découverte.

Christophe Mayca

25 mars 2015

2 réflexions sur “Les trois princes de Serendip

  1. Vraiment SUPER, c’est la deuxième fois que je lis ton Post, mais cette fois si après le café, mes neurones sont en place et l’explication me parait beaucoup plus claire, enfin j’espère…
    Serendip d’origine Perse donc Asiatique, fait parti d’une science hasardeuse avec un zeste de curiosité. Question, représente t’il que la science ou d’autre découvertes toutes aussi hasardeuses ?
    Très bon Post C

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    1. Merci Pascal. Je pense que la sérendipité peut se manifester dans tout genre de quête, de recherche ou d’investigation. Elle peut donc toucher un journaliste ou un enquêteur de la même façon qu’un scientifique.

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